17/03/2025
En 1991, le monde bascule sans bruit dans une ère nouvelle.
Tandis qu’au CERN, un certain Tim Berners-Lee met en ligne le tout premier site internet de l’histoire sur info.cern.ch, un autre pionnier s’essaie à un langage plastique encore balbutiant : Phil Macquet, dans une série d’œuvres numériques fondatrices, transpose l’esprit du pochoir urbain dans l’univers du pixel. Coïncidence ? Certainement pas. L’époque est à la rupture douce, à l’émergence d’un nouveau territoire visuel et cognitif, à la fusion de la technique et de la création.

Ce qu’affichait la première page web en 1991
Dans cette année charnière, où le XXᵉ siècle commence sa lente bascule vers le virtuel, Macquet s’impose, non pas comme un suiveur des modes technologiques, mais comme un défricheur. Tandis que la plupart des artistes numériques de l’époque se perdent dans des expérimentations encore abstraites, lui met en scène une iconographie urbaine, rock et politique. Ses compositions numériques sont alors matérialisées sur papier photo, à l’aide d’un slide-writer, technologie de pointe mais confidentielle, bien loin des formats spectaculaires qu’il imaginait déjà. La bâche viendra plus tard, presque dix ans après, lorsque la série fondatrice sera enfin réunie et exposée aux États-Unis.
1991, c’est aussi le crépuscule de la Guerre Froide, l’agonie d’un monde bipolaire, et le surgissement d’un monde globalisé, connecté, en quête de nouveaux symboles. Le premier site internet n’était qu’une simple page html sans image, mais il ouvrait une brèche — celle par laquelle Phil Macquet s’engouffre avec une clairvoyance rare. En fixant sur toile les mutations visuelles de son temps, il ne documente pas le numérique : il l’anticipe, le sculpte, l’amplifie. Son travail agit comme une archive vivante d’un basculement.
On aurait tort de croire que ce virage était évident. En 1991, l’informatique personnelle en est encore à ses balbutiements, les modems sifflotent douloureusement, et l’idée même d’une culture numérique relève davantage de la science-fiction que du manifeste artistique. C’est là toute la singularité de Macquet : saisir dans les prémices techniques d’une époque encore analogique les germes d’une esthétique nouvelle. Là où d’autres attendaient les outils parfaits, lui bricolait déjà des visions. Il n’était pas dans l’illustration du futur, mais dans sa préfiguration brute, directe, parfois rugueuse, comme les murs de Lille qui avaient accueilli ses premiers pochoirs.
La reconnaissance viendra plus tard, comme souvent pour les visionnaires. Il aura fallu près d’une génération pour que l’œil du public accepte cette palette pop, ces pixels revendiqués, cette frontalité numérique. Pendant deux décennies, la production de Macquet fit débat. Trop neuve, trop visible, trop en avance sur la digestion collective. Aujourd’hui, ses toiles intègrent les collections les plus prestigieuses, preuve que les codes esthétiques qu’il posait alors sont devenus des évidences. À l’image de cette page spartiate du CERN devenue symbole d’une révolution, les œuvres de Macquet de cette époque ont une simplicité formelle et une puissance prophétique. En cela, il ne se contente pas d’utiliser les technologies : il raconte l’histoire de leur naissance.
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- Article « Retour vers le futur avec Phil Macquet« , ArtsHebdoMédias.
- Page Wikipédia de Phil Macquet : https://fr.wikipedia.org/wiki/Phil._Macquet
- Présentation de l’exposition « Street Digital » – Markowicz Fine Art, Miami
- CNRS – « 30 ans du Web : le CNRS à l’origine du premier site internet français«
- Anecdotique : L’artiste entretien aussi un blog sur les objets informatiques qu’il collectionne.